Blog Nature
Migrateur partiel
« Tsitsitsitsitsitsi—tsîîh » ! Chaque printemps, la strophe courte, monotone et néanmoins ostensible, égrenée depuis un perchoir dominant du Bruant jaune, éveille en moi les nostalgiques souvenirs de mes premières initiations aux chants d’oiseaux.
Cette ‘Goldammer’ alémanique était pour ma maman parée de toutes les vertus : à ses yeux, c’était l’exemple même de l’économe – non du pingre – celui qui ne laisse rien perdre et pour qui chaque don de la Nature représente un trésor insoupçonné.
Devant ma réticence à ne laisser d’une pomme que la tige et les pépins, elle me rappelait ces moments d’observation où ‘l’oiseau des pauvres’ nous récitait sa leçon…
En ces temps-là, les tracteurs n’avaient pas encore remplacé les chevaux, et leurs crottins exerçaient sur nos Bruants une véritable fascination au moment où, suivant les chars, ils profitaient des grains que le chemin de terre battue laissait échapper des chargements. Ils étaient partout à glaner quelque pitance, dans la paille, les éteules, meules et regains, se rassemblant l’automne venu en troupes dorées qui semblaient nous récompenser de tout le labeur que la belle saison nous avait permis d’accomplir.
Cette gratitude des humbles gens envers ce que la nature leur offrait - les mondes d’Albert Anker, Jean Giono, Le Clézio, Philippe Jaccotet - a jalonné mon parcours de vie avec les plantes, la terre, le ciel, les oiseaux et les abeilles.
Et maintenant que le destin m’a offert le privilège de m’inviter dans l’habitat même du Bruant jaune, et que du matin au soir, sa mélopée accompagne ma vie d’ermite, ma reconnaissance va à cette amitié à laquelle nous sommes restés fidèles l’un à l’autre.
Le Bruant jaune, c’est tout le contraire de l’Alouette des champs !
Alors que de son plumage ’terre’ celle-ci ascensionne pour prodiguer son chant céleste en offrande au soleil ; avec son plumage jaune or, sa modeste vie et la sobriété de sa mélopée, le Bruant jaune, boule de lumière, paraît se suffire de ce qui est disposé autour de lui en restant simplement à disposition de qui aurait besoin de lui…
Mais que sont devenues nos campagnes d’antan ? Dans leur mise en valeur productive, ont-elles seulement su prendre en considération ce qui faisait leur véritable identité : la prodigalité d’une terre-mère nourricière, accueillant aussi bien le vol du papillon, la stridule du grillon, le chant de la Fauvette que le tempérament placide de la vache, le balancement de l’épi dans l’air estival et le joyeux rire d’une troupe d’enfants… ?
Témoins de cette ferveur des échanges entre ciel et terre, les oiseaux de nos campagnes sont en nombre à pâtir de la dégradation de notre environnement, de l’appauvrissement de nos ressources et la banalisation de nos paysages.
Tout comme l’Alouette, le Tarier des prés ou le Pipit des arbres, les Bruants ont connu de forts déclins ces dernières décennies jusqu’à disparaître de régions entières.
Alors réjouissons-nous de chaque présence, de chaque chant de l’un ou l’autre d’entre eux, aussi discrets et modestes soient-ils.
Sachons apprécier leurs présences à nos côtés en reconnaissant en elles la justification, la réussite et la récompense des mesures prises en leur faveur.
CPG, 9 avril 2025